La catastrophe du siècle 2 octobre 2020

Introduction

Le vendredi 2 octobre 2020, un épisode méditerranéen extrême a concerné les reliefs du Mercantour et dans une moindre mesure les Préalpes de Grasse.

Nous allons revenir sur cet impensable météorologique et les étapes « avant/pendant/après » qui ont contribué à cet épisode totalement inédit. A minima l’épisode du siècle, certains évoquant même des crues millénaires !

Pour ce faire, ce dossier se constituera en plusieurs parties, à savoir l’aspect prévisionnel, le déroulement de l’épisode et les dégâts occasionnés.

 

1 – Prévisions

Avant cet épisode, le contexte météorologique est globalement calme et très sec. Nous sortons d’un mois de septembre anormalement contrasté côté températures. En effet, le 13 septembre 2020, les records de chaleurs sont approchés dangereusement sur les stations d’altitudes :

  • Saint-Martin-Vésubie atteint 29.9°C (record mensuel 31.2°C)
  • Tende atteint 30.3°C (record mensuel 31.3°C)

Alors que le 27 septembre ce sont les records mensuels de froid qui sont menacés. Il est même battu sur la station de Tende !

  • Saint-Martin-Vésubie atteint 1.2° de température minimale (record mensuel 1°C)
  • Tende établit un nouveau record mensuel avec température minimale de  2°C

Côté précipitation, si juillet et août ont observé globalement des cumuls pluviométriques normaux. Le mois de septembre est marqué en revanche par une sécheresse avec des déficits de l’ordre de 60% à 70% :

  • Saint-Martin-Vésubie cumul 46mm de précipitations (moyenne mensuelle de 104 mm)
  • Tende cumul 32 mm de précipitations (moyenne mensuelle de 105 mm)

Cet épisode va donc se produire sur des sols secs avec des cours d’eau au plus bas. Les nappes phréatiques ont des niveaux sous la normale, mais sans excès notable. Il n’y a pas de manteau neigeux sur nos cimes.

Les conditions hydrologiques ont donc été jugées plutôt favorables avant ces pluies, lors de la rédaction de nos bulletins. Elles ne l’étaient donc peut-être pas autant qu’imaginé :

  • Le premier facteur aggravant des sols secs n’a pas été suffisamment pris en compte en amont. Alors que son rôle sur la genèse des inondations n’est plus à prouver.
  • Second facteur aggravant, mais plus anticipé dans notre bulletin : les violentes intensités. Le plus gros des cumuls relevés est tombé en approximativement 12h de temps.
  • Troisième facteur aggravant, la précocité de cet épisode dans la saison n’a pas permis de chute de neige au-dessus de 2000m. Les précipitations s’y sont produites sous forme liquide sur les cimes du Mercantour. Dans cette zone, l’infiltrabilité maximale des sols y a très vite était atteinte, car essentiellement composé de roches nues (par effet Hortonien). Ces espaces sont habituellement plus aptes à recevoir d’importantes précipitations sous formes solides avec une infiltration plus diffuse.

En conclusion, des sols très secs à moyenne altitude + des sols inadaptés de haute montagne + une intensité pluvieuse inédite avec une précocité remarquable = La catastrophe du siècle

Partie prévision :

En revanche, un des gros points positifs de cet événement est du point de vue de l’anticipation. Il a été possible essentiellement grâce aux progrès réalisés par les modèles de prévisions numériques. Et plus particulièrement par Météo-France sur le développement de son modèle AROME à très haute résolution.

Il semble nécessaire de rappeler que nous sommes 2 semaines après « un loupé » sur la prévision d’un épisode similaire dans le Gard (700mm en un peu plus de 12h à Vallerauges). Il avait été reproché une activation d’une vigilance rouge beaucoup trop tardive. Et le modèle AROME n’avait pas été à la hauteur sur cette prévision :

 

 

Nous pouvons dire que 2 semaines après, il s’est rattrapé et que les prévisionnistes ont bien fait de lui faire confiance.

Grâce à la mise à disposition des sorties de modèles AROME et ARPEGE en OpenData par Météo-France, nous avons pu commencer à communiquer sur la surveillance de ce phénomène le 28 septembre 2020 en soirée. Soit 5 jours avant !

Les principaux modèles à grande maille étant unanimes sur cette impressionnante dépression à venir. Elle sera baptisée ALEX et elle est la première de la saison :

 

 

Le 30 septembre 2020, le scénario est globalement bien appréhendé sur le timing, la localisation et les intensités inquiétantes par le modèle régional ARPEGE:

 

 

Nous sommes 48h avant l’épisode. C’est un progrès vraiment remarquable et encourageant pour l’anticipation.

La veille de cette tragédie Météo-France émet déjà sa vigilance orange. Le Préfet demande la fermeture de toutes les écoles pour le lendemain.

Notre bulletin est émis en soirée via notre application et site web.

Les cumuls modélisés par AROME le 01/10/2020 sur son run 12z disponible vers 18h00, évoquent une pointe à 300mm sur une moitié Est du 06 avec plus globalement 200mm. Les Préalpes de Grasse semblent moins exposées avec localement 200 mm et plus généralement 100 à 150 mm :

 

 

Les intensités et l’étendue de cet épisode interpellent. Nous annonçons un épisode de type R3 sur plusieurs zones :

 

 

Les températures prévues vers 1600 m sont comprises entre 12 °C et 14 °C alors que vers 5000 m elles sont comprises entre -12 °C et -14 °C… La thétaE à 850 hPa représentant une partie du potentiel de convection est au plus haut de l’échelle. Laissant présager de fortes intensités pluvieuses :

 

 

Le lendemain matin, AROME maintient voir renforce très légèrement les cumuls avec toujours une pointe à 300 mm, légèrement plus étendue :

 

 

Météo-France place les Alpes-Maritimes en vigilance rouge :

 

Archive des vigilances météorologique sur vigilance-public.meteo.fr

 

Ce n’est qu’à midi, avec la sortie du run 06z, que celui-ci renforce encore les cumuls avec localement plus de 400mm :

 

 

Les vigilances météorologiques sont donc à leur plus haut seuil, mais la catastrophe est déjà à son commencement dans les vallées.

 

 

2 – Observation de l’épisode

  • LA VEILLE

Dans le nuit de jeudi à vendredi, la tempête Alex se creuse de façon explosive au sud de la Bretagne. Plutôt conforme aux prévisions sur la trajectoire :

 

En revanche côté intensité, les chutes de pression y sont vertigineuses. Cette dépression se creusera de 40 hPa en moins de 24h. Une rafale à 186 km/h est enregistrée dans le Morbihan à Belle îles en mer. Battant le record mensuel de 164 km/h du 15 octobre 1987. Dans ce département + de 80.000 foyers y sont privés d’électricités.

 

 

Alex surprend par son éclosion spectaculaire. Comme un mauvais présage pour les Alpes-Maritimes.

Toutefois, sur notre département la nuit fut calme est sèche.

  • EN MATINÉE

Les premières cellules orageuses se forment en tout début de matinée et remontent de Méditerranée. Les premières fortes intensités se manifestent essentiellement le littoral entre 08h00 et 09h00 entre Cagnes et Nice. Certains vallons sensibles réagissent modérément :

 

 

Mais en montagne la situation est encore calme. Les cellules de crise communales commencent à s’activer à la demande du Préfet. Elles se préparent avec plus ou moins de conviction face à cette tempête.

Ce n’est qu’à partir de 10h00 que les pluies fortes et stationnaires viennent se caler sur les reliefs. La convection est marquée et l’activité électrique soutenue. Notamment entre Roquebillière / Clans / Tende mais aussi entre Coursegoules et Caussols.

En observant les données de la station Météo-France de Levens, plus au Sud des zones sinistrées. On remarque distinctement la mise en place du violent flux de sud apportant l’alimentation en humidité / chaleur à partir de 10h00 et jusqu’à 22h00 non-stop :

 

Entre 11h00 et 12h00 on relève sous ce premier pic d’intensité :

  • Clans 39.2 mm
  • Tende 32.9 mm
  • Coursegoules 27.1 mm

Dans ces vallées, les sols se conduisent déjà comme à saturation. Les cours d’eau réagissent rapidement et les images des conditions routières qui parviennent via les réseaux sociaux interpellent déjà.

 

 

Les pluies ruissellent directement dès les premières fortes intensités. Ces ruissellements viennent rapidement déclencher les processus de crues dès la mi-journée :

 

 

  • APRÈS-MIDI

Ces orages vont se régénérer sans cesse, mais aussi s’intensifier encore. L’épisode méditerranéen va prendre rapidement une tournure exceptionnelle. Les sommets des cumulonimbus (plus haut point de l’orage) sont très hauts et peu mobiles. Ces bouillonnements convectifs sont parfaitement visibles sur l’image satellite ci-dessous :

 

 

A 15h00 on relève :

  • 225 mm sur la station Météo-France de Saint Martin Vésubie. Dont 116 mm entre midi et 14h ! Après avoir enregistré une nouvelle lame d’eau horaire de 50 mm à 15h00 elle cessera d’émettre, emportée par le Boréon en crue. Elle totalisera donc en 3 heures (entre midi et 15h00) exactement 165.5 mm et 218 mm en 6h00 (entre 9h00 et 15h00) 
  • 215 mm à la station Météo-France de Le Mas soit 208mm en 6 heures (entre 9h00 et 15h00) et 127 mm en 3 heures (entre midi et 15h00).
  • 198 mm à la station #Météo06 de Clans soit 195 mm / 6 heures (entre 09h00 et 15h00) et 152mm en 3 heures (entre 13h00 et 16h00). 71 mm/1h (entre 14h00 et 15h00)
  • 120 mm à la station Météo-France de Coursegoules. Une lame d’eau horaire de 91 mm sera enregistrée dans l’heure qui suit (entre 15h00 et 16h00)
  • 96.6 mm à la station Météo-France de Tende dont 57 mm / 3 heures (entre 10h00 et 13h00)

 

 

C’est donc dans la Vésubie que les premières inquiétudes surviennent rapidement. Les crues sont éclairs et les images qui parviennent via les réseaux sociaux sont saisissantes :

 

 

Les 2 premières victimes vont être emportées dans les flots de la Vésubie avec leur maison sous le regard impuissant des secours et d’un journaliste de Nice-Matin. Elle donne une idée de la situation dramatique qui est en train de se produire. Surtout que l’épisode est loin d’être terminé :

 

 

Les crues sont torrentielles. Des coulées de lave torrentielles se produisent en masse au-dessus de 2000m générant d’importantes quantités de sédiments à drainer avec des blocs de plusieurs tonnes. Ils vont contribuer à fragiliser les berges et détruire de nombreux ouvrages comme des ponts / des digues / des maisons et des routes. La végétation parfois arborescente est engloutie en quelques secondes.

 

 

Les sols passent d’un état de sécheresse à saturation en seulement quelques heures. Ils génèrent de nombreuses coulées de boues et glissements de terrain. Les vallées deviennent progressivement coupées du monde. Et l’orage ne cesse pas !

 

 

Sous ces fortes intensités, les cours d’eau comme la Tinée / Vésubie vont prendre 4 m de hauteur en 2h00 seulement. Le débit estimé de la Vésubie atteindra au plus fort presque 650 m3/seconde. Celui de la Tinée atteindra presque les 1000 m3/sec. Toutefois ces débits et hauteurs ne sont pas certains en raison de l’engravement brutal et important des lits majeurs :

 

 

Avec ces crues impressionnantes, le Var aval réagit rapidement lui aussi. Il va prendre presque 5m de hauteur entre 16h00 et 18h00 où le pic de crue sera atteint. Débit estimé (malgré des travaux ayant pu modifier les mesures) 2745 m3/seconde à son embouchure. Une crue rappelant des souvenirs de Novembre de 1994 :

 

 

Les voies sur berges donnant accès à l’aéroport seront totalement submergées ainsi que le point bas de la RM 6202 bis au niveau de Carros sous le pont de la Manda.

 

 

En fin de journée, ces orages stationnaires se décalent vers l’Est progressivement. Sur les Préalpes de Grasse et la vallée de l’Estéron les sols sont à saturation également mais l’accalmie sera plus rapide.

 

 

Dans cette vallée, aussi très touchée par les coulées de boue et glissements de terrain, les pluies fortes cessent plus tôt et les dernières fortes intensités sont enregistrées vers 16h00.

Mais pour l’Est, dans la vallée de la Roya au contraire… le pic d’intensité se présente à partir de 17h00 :

 

 

Le processus de crue y devient aussi exceptionnel en fin de journée. Ici aussi de nombreux embâcles accélèrent les submersions de ponts comme c’est parfaitement visible sur la photo ci-dessous :

 

 

Dans la Roya tout s’emballe rapidement. Les crues sont violentes :

 

 

Elles vont tout emporter sur leur passage. 11 ponts seront détruits avec 35 km de routes. La Roya va elle aussi devenir coupée du monde. De nombreuses vies seront emportées par les torrents, vallons et rivières en furies.

 

 

Le préfet a déjà déclenché le plan ORSEC, mais l’organisation des secours est très complexe. Les renforts ne peuvent parvenir dans ces vallées reculées du littoral. Elles sont devenues totalement isolées (plus d’électricité / de téléphone / d’eau et de routes). Les moyens aériens sont cloués au sol, car les vents y sont trop violents.

À 20h00 un premier bilan de la préfecture fait état de :

  • 6 personnes portées disparues.
  • 187 interventions et 25 mises en sécurité sont effectuées par les secours.
  • 80 sapeurs-pompiers engagés dans le secteur Roquebillière et Saint-Martin-Vésubie. Des colonnes de renfort supplémentaires sont en cours d’acheminement vers les Alpes-Maritimes.
  • 9500 foyers sont privés d’électricité.
  • L’aéroport de Nice est fermé depuis 19h30 ainsi que l’ensemble des gares SNCF.
  • L’accès aux vallées (Roya, Tinée, Vésubie) n’est plus possible en raison de nombreuses coupures de routes.

À 23H00 on relève sur les stations du département :

  • 414 mm sur la station #Météo06 de Clans.
  • Plus de 350 mm à Saint-Martin-Vésubie, mais qui n’émet plus depuis 15h30
  • 320 mm à Coursegoules
  • 279 mm à Tende
  • 266 mm à Breil-sur-Roya
  • 223 mm à Lantosque
  • 178 mm à Rimplas
  • 173 mm à Caussols
  • 50 mm sur la station #Météo06 de Nice Pessicart

L’activité électrique cesse progressivement. Le bilan kéraunique témoigne de l’incroyable intensité de ces orages stationnaires :

 

 

Les précipitations cessent aussi progressivement à l’Est du 06 et l’ensemble des cours d’eau amorcent leur décrue dans la seconde partie de nuit. Le processus de décrue est aussi très rapide.

Les cumuls sont tout simplement inédits depuis les relevés modernes de météorologie. Plusieurs records absolus de précipitations tombent lors de cet épisode méditerranéen :

  • 660 mm en 24h au lac des Mesches (station EDF)
  • 580 mm en moins de 24h sur une station du réseau italien Arpa Piemonte de Limone au col de Tende.
  • ⚠️ 577 mm à Mons dans le Var. Valeur très rapidement invalidée par Météo-France. Une anomalie dans le calibrage de la station ! Valeur approuvée avec 228 mm au final..
  • 500.2 mm en moins de 24h sont évoquées par Météo-France sur une station de Saint-Martin-Vésubie. Mesure provenant d’un poste EDF. 513 mm sur le poste bénévole manuel situé très proche, qui viennent donc valider ce relevé exceptionnel, battant le record absolu pour les Alpes-Maritimes des 247 mm en 24h du 14/11/2002 !
  • 428 mm en moins de 24h sur la station Météo 06 de Clans. Nouveau record absolu de la station et du réseau Meteo06
  • 377.9 mm à Andon
  • 331.9 mm en moins de 24h sur Coursegoules. Nouveau record absolu de précipitation en 24h également. Battant les 241 mm du 11 janvier 1996 !
    • Dont 291mm en 12h glissantes
  • 316 mm au Mas
  • 310 mm à Tende, établissant un nouveau record absolu battant les 234mm du 31/10/2003
    • Dont 262mm en 12h glissantes
  • 284.1 mm à Breil/Roya

Bref de très nombreux records tout simplement pulvérisés..

Météo France retiendra pour le moment parmi tous ces chiffres :

  1. Record départemental absolu de précipitations en 24h = 500.2 mm à Saint-Martin-Vésubie.
  2. Record département absolu de précipitations sur 6h = 295 mm à Saint-Martin-Vésubie entre 11h00 et 17h00

Les records sur 1h / 2h / 3h dans le département appartiennent toujours à l’orage rétrograde de Cannes du 03 octobre 2015. Presque 5 ans jour pour jour :

 

La carte des cumuls sera redéfinit par Meteo-France en intégrant des stations extérieurs à leur réseaux (Comme les notres ou celles EDF) :

 

3 – Les dégâts

Le lendemain matin, le calme météorologique est revenu avec un grand ciel bleu. Mais nos vallées sont sous le choc :

Le bilan humain et encore provisoire le 18 octobre en soirée. Il fait état de 5 morts retrouvés / 7 personnes formellement portées disparues / 13 autres personnes n’ont toujours pas donné de nouvelles à leurs proches et sont donc supposées disparues.

Le 4 novembre 2020, le bilan fait état de 9 personnes officiellement portées disparues + 9 morts dont les corps ont pu être identifiés. Soit un total de 18 vicitmes !

  • Roquebilière : 2 personnes âgées emportées dans leur maison par les flots (1 jambe appartenant à  l’épouse Borello a été retrouvé  fin novembre au large de Narbonne).
  • 2 sapeurs-pompiers emportés dans leur 4*4 pendant une mission de reconnaissance. (1 SP retrouvé dans le lit du Var)
  • Saint-Martin-Vésubie : 1 couple de personnes âgées emporté dans leur véhicule. 1 autre couple emporté dans leur maison. (Couple retrouvé dans leur véhicule dans le lit du Boréon + le mari retrouvé dans la Vésubie vers Lantosque)
  • Breil sur Roya : 1 personne et un couple emportées dans leur maison, 2 dans leur voiture. (1 corps retrouvés dans les décombres + 1 corps retrouvé au large de l’aéroport + 2 corps retrouvés en Italie)
  • Tende : 1  berger emporté avec son 4*4.
  • Le corps d’une femme a été repêché dans le port de Monaco.

Au moins 4 personnes ont péri après avoir refusé d’évacuer leur habitation.

Les recherches des personnes portées disparues sont rendues difficiles, car plusieurs cimetières ont été détruits. De plus il faut coordonner 3 autorités administratives dans les processus de recherches et d’identifications (France / Monaco / Italie). Hélas, vu la violence des crues, de nombreux corps risquent de ne pas être retrouvés.

Au total sur le département, 70 km de routes sont détruits avec une quinzaine de ponts et 181 bâtiments sont détruits 116 présentent un péril imminent.

Les secours aériens s’organisent dès le lever du jour pour les premières missions de reconnaissance. Dans les premières 48h qui suivent cette catastrophe, pas moins de 12 hélicoptères seront mobilisés. Ils seront le seul lien entre la bande côtière et les vallées sinistrées. Rapidement renforcé au fil des jours, c’est au final 34 hélicoptères qui seront mobilisés au plus fort de cette crise. Un pont aérien totalement inédit dans l’histoire de la sécurité civile..

 

 

  • VESUBIE

Les premières images qui nous parviennent sont celles de Saint-Martin-Vésubie baptisé « la Suisse Niçoise » complètement balafrée par ses 2 rivières principales. Le Boréon à l’Ouest et la Vésubie à l’Est. De nombreux chalets sont emportés ou éventrés. Complètement isolé de Roquebilière et de Valdeblore / Venanson. Ce village sera désenclavé par un petit aménagement d’une piste qui permettra de relier Roquebillière dès le dimanche soir pour un accès terrestre des secours :

 

 

Même à la source du Boréon, les intensités des crues ayant charriés des milliers de mètres cubes de sédiments ont été particulièrement destructeur sur des bâtiments ayant parfois plus de 100 ans :

 

 

Plus au sud vers Roquebillière, le lit de la Vésubie qui faisait quelques dizaines de mètres en fait dorénavant plusieurs centaines. L’accès par Lantosque y est impossible. Il s’est fait assez rapidement dans les 48h par le col de Turini :

 

Plus au sud encore Lantosque est lui aussi très isolé. De nombreux dégâts sur la partie basse du village avec là aussi des habitations totalement éventrées. Une ancienne piste sera ouverte pour permettre de rejoindre Roquebilière en plus d’une heure de trajet. Nous sommes 72h après la catastrophe :

 

 

Les quantités de débris charriés sont très visibles au pied de cette vallées dans les passages étroits des gorges :

 

 

  • ROYA

Cette vallée est sûrement la plus sinistrée de toutes.

L’accès au tunnel de Tende, côté Français, est complètement détruit. Deux phénomènes : le premier c’est la crue de la Roya, emportant le remblais (composé des gravats de l’excavation du tunnel) sur lequel reposait la plateforme de sortie (à droite sur la photo ci-dessous). Le second, c’est un glissement de terrain en amont dans le vallon de la Ca, emportant route et ponts (sur la gauche de la photo ci-dessous).

 

Source : Giorgio Martinotti, géologue Italien

 

Tunnel de Tende | Source : portail « Remonter le temps » de l’IGN alex.ign.fr

 

A Vievola, la route qui descend sur Tende est emportée à plusieurs endroits. Plusieurs sauvetages y ont été réalisés par la gendarmerie et la police Municipale de Tende :

 

La commune de Tende est dorénavant coupée en deux. La Roya qui traverse ce village a emporté tous les ponts :

 

 

Enfin presque tous.. Ce pont romain est le seule à avoir résisté à cette crue exceptionnelle  :

 

 

Plus au Sud, à Saint-Dalmas-de-Tende, la largeur du torrent de Bieugne (provenant du lac des Mesches), laisse entrevoir la furie des eaux.

 

Saint-Dalmas-de-Tende | Source : portail « Remonter le temps » de l’IGN alex.ign.fr

 

La route d’accès au Hameau de Castérino qui longe ce torrent est aussi emportée en plusieurs point. Rappelons que c’est en amont de cette zone que les plus forts cumuls sont relevés :

 

 

Dans la haute Roya, Tende / Castérino / La Brigue / Vievola sont 1 mois après toujours isolés. Le seul accès terrestre possible au bout de 3 semaines est avec le train en venant de Limone en Italie et jusqu’à Tende.

Les habitants se sentent abandonnés surtout que les moyens engagés par l’état sont progressivement désengagés :

Toujours plus au sud, entre Fontan et Breil/Roya, les dégâts au niveau des tunnels de Saorge sont impressionnants.

 

Tunnels de Saorge | Source : portail « Remonter le temps » de l’IGN alex.ign.fr

 

 

Le pont des truites a été submergée (>10m) et totalement détruit :

 

La puissance des eaux n’a laissé aucune chance aux moindres obstacles :

 

Cette partie de la vallée a été désenclavée grâce à la remise en service du train des Merveilles au bout de 17 jours :

 

 

Hélas pour le rétablissement routier il va prendre plusieurs mois voir plusieurs années.

Plus bas, avant d’arriver sur Breil-sur-Roya la route est encore complètement coupée, la Roya ayant embarqué la digue/le mur de soutènement de la route. Les photos suivantes sont prises le 09/10/2020, soit 7 jours après la catastrophe. Toutes les forces possibles (Agents du département des Alpes-Maritimes, ONF, entreprises privées, etc.) travaillent d’arrache pied pour rétablir un semblant de route :

 

 

 

Breil-sur-Roya, qui sert de base arrière pour toute la vallée, n’est pas épargnée non plus. Pour cette commune le salut vient d’une réouverture dans les 72h du col de Brouis permettant un accès terrestre Sospel => Tende :

 

 

 

  • TINEE

La « route du ski » qui permet de rejoindre les stations d’Auron et d’Isola 2000 est emportée au niveau de Bancairon.

 

Le village de Roussillon commune de la Tour / Tinée est éventré :

 

 

  • MALAUSSENE

Une lave torrentielle a touché brutalement une vingtaine d’habitations dans la soirée. Par miracle il n’y aura aucune victime.

 

 

Plus au sud, dans les gorges de La Mescla, le fleuve Var après les affluents de La Vésubie et de La Tinée atteint la chaussée soit une hausse de 10m :

 

 

La voie sur berge M6102 est totalement immergé localement. Ca n’était jamais arrivée depuis son ouverture il y a une trentaine d’années.

 

  • LITTORAL

En soirée, le coup de mer en flux de sud est marqué et provoque quelques dégâts sur les zones vulnérables :

 

A l’embouchure du Var sur la commune de Saint-Laurent c’est des forêts entières de bois flottés qui recouvrent totalement la mer sur plusieurs dizaines de mètres :

 

 

Après 2 semaines de nettoyage grâce au renfort des Sapeurs-Forestiers du 13, la tâche parait toujours aussi titanesque pour déblayer cette zone :

 

 

L’image sattelite faite au lendemain parle d’elle même :

 

4 – Interprétation/Explication

Nous allons décrypter ces phénomènes qui sont certes spectaculaires, mais très connus et étudiés depuis de longues années.

  • Mécanique des crues torentielles

Que ça soit la Tinée / Vésubie ou Roya les principaux affluents de ces rivières (ou fleuve côtier pour la Roya) sont des torrents de montagne. Ils prennent leurs sources sur des reliefs très escarpés aux pentes à forte déclivité généralement supérieures à 30% :

 

 

Ces zones sont essentiellement composées de roches friables s’accumulant en grande quantité. Ce sont des torrents dits à clape :

 

 

Ces torrents sont à l’origine des laves torrentielles pouvant véhiculer une très grande quantité de sédiments allant de la simple argile à des blocs de plusieurs tonnes en quasi flottaison. Le taux de concentration des débris est généralement supérieur à 50% par rapport à celui de l’eau :

 

 

Exemple d’une zone de déblaiement importante entre Roquebillière et Saint-Martin-Vésubie cime de Castel Vieil avec une photo après / avant grâce à Geo-portail :

 

 

Dans ces zones à fort dénivelé, les sols secs sont passés à une saturation hors normes en seulement quelques heures. De très nombreux glissements de terrains se sont également déclenchés spontanément sur les pentes fortes :

 

 

Ils ont contribué à alimenter encore plus ces torrents à clapes avec de nouveaux débris : branches, arbres entiers, rochers.

Lorsque ces torrents s’approchent du fond des vallées en devenant rivières par un chenal d’écoulement plus large. Des ruptures de pente se produisent (pente plus faible comprise entre 1 et 6%). Les lits de la Roya / Tinée / Vésubie se sont alors engravés parfois de façon spectaculaire selon que la rupture de la pente est brutale.

 

 

Cet engravement brutale provoque l’exhaussement du lit majeur, une divagation en tresse du cours d’eau très difficilement prévisible et/ou une obstruction des ouvrages pouvant aller jusqu’à leur destruction :

 

 

Malgré une pente moins importante, le charriage reste néanmoins encore très important avec des déplacements en saltation de gros bloc accompagnés du transport de bois et des débris divers par flottaison. La capacité érosive reste donc très très importante. Elle est à l’origine d’affouillements et de glissements des berges parfois spectaculaires. Ce phénomène est aussi à l’origine de très nombreuses destructions sur les habitations / ouvrages de franchissement / infrastructures routières.

 

 

  • La prévention

Le développement de nos vallées initié depuis plusieurs dizaines d’années, demande sans cesse d’agrandir nos infrastructures routières et à les rendre plus confortables. La zone littorale sature et la spéculation foncière y est très forte. De plus en plus de familles font le choix de se diriger vers ces vallées pour pouvoir bénéficier d’un habitat individuel à moindre coût. Il y a un véritable désir de développement pour ces villages.

La vallée de la Vésubie y est un bel exemple de développement et la pression foncière y a fortement augmenté au fil des années.

Il n’y a pas là, l’intention de faire de procès à quiconque ! Quoi de plus normal que de vouloir faire prospérer une commune. Nous ne cherchons aucun débat stérile..

Mais il semble que cette pression a été telle qu’à un moment des choix ont poussé à construire dans des zones à risque (identifiées officiellement sûrement à posteriori). Saint-Martin-Vésubie est d’ailleurs la commune qui a payé le plus lourd tribu avec 93 bâtiments détruits.

Toutefois à notre connaissance, il semble qu’il n’y a que cette commune qui dispose d’un Plan de Prévention des Risques Inondations (PPRi) approuvé. C’est pourtant un outil indispensable du Plan Communal de Sauvegarde.

Bien sûr la catastrophe du 2 octobre dépasse l’entendement. Personne ne pouvait prévoir l’impensable. Les zones rouges sont donc finalement bien sous-dimensionnées face à des crues de cette ampleur.

 

 

Mais le constat est là, beaucoup d’habitations détruites se trouvaient en zones rouges ou à proximité immédiate.

 

 

À savoir qu’une zone rouge se définit comme une zone très exposée où les inondations sont redoutables en raison notamment des hauteurs de submersion, de la vitesse du courant ou de la fréquence des inondations. Il n’y existe pas ou peu de mesures de protection pour assurer d’une manière rationnelle la sécurité des personnes et des biens.

On peut donc toujours s’étonner d’y trouver un centre d’incendie et de secours :

 

 

La gendarmerie se trouvait elle en bordure de cette zone rouge. Elle n’a pour autant pas résisté à cette crue exceptionnelle :

 

 

Ce sont des établissements qui ont un rôle essentiel à jouer en situation de crise. Ils ont été évacués à temps limitant un peu plus la désorganisation des secours. Le Plan de Prévention des Risques Inondations a-t-il permis cette clairvoyance ? A-t-il permis dans cette commune de mieux gérer la crise ?

Car nous constatons encore que certaines communes peuvent y faire de la réticence à établir ces plans et afficher un risque dont les conséquences sont souvent dévalorisantes sur le plan patrimonial.

  • Le bulletin de vigilance

Une nouvelle fois, il semble que le phénomène pluvieux n’a pas été perçu comme revêtant un caractère particulier par certaines communes.

Même si les cumuls évoqués étaient sous estimés, ils étaient déjà suffisamment alarmants pour comprendre que quelque chose de sérieux aller se passer sur le département.

Il est toujours très compliqué pour la personne lambda ou un maire d’interpréter les cumuls « bruts » d’un bulletin de vigilance qui est tout aussi imprécis dans la localisation de l’évènement :

 

 

L’échelle R que nous avons publiée la veille dans notre bulletin de vigilance (intensité R3) devrait être plus largement utilisée pour rendre « plus concrets » les effets possibles des cumuls évoqués. Cette échelle permet de donner une meilleure représentativité des conséquences possibles face à des cumuls « bruts » :

 

 

En ce qui concerne la localisation précise de l’événement à l’échelle infra-départementale que nous avons tenté via notre carte ci-dessous :

 

 

Elle induit encore un risque d’erreur non négligeable pouvant tromper lors de vigilance. Notons par exemple que même si cet épisode est très étendu, la vallée de la Bévéra n’a été que peu impactée alors qu’elle se trouve entre les 2 vallées les plus sinistrées. Mais cette cartographie a le mérite de définir des zones précises et de les nommer pour compléter un bulletin de vigilance.

On peut donc reprocher que le bulletin Météo-France reste encore trop souvent imprécis pour « les lecteurs néophytes » et qui ne permet pas toujours de mentaliser la gravité éventuelle d’une prévision.

Notons que pour la plupart des personnes du département qui vivent sur la bande côtière. Il n’y a eu une réelle perception de la catastrophe que le lendemain à la diffusion des premières images. Comprenant bien tardivement l’intérêt d’une vigilance rouge / la fermeture des écoles et de certains centres commerciaux.

  • Les nouveaux outils post-crise :

Face à cette catastrophe particulièrement étendue et aux nombreux accès routiers ayant tout simplement disparus. L’innovation technologique est venu en appui des secours très rapidement.

La Protection-Civile des Alpes-Maritimes qui a par exemple déployé son véhicule V.SAT permettant d’établir une liaison sattelite apportant une connexion internet en toute indépendance des réseaux détruits :

Également dès lendemain, le service Copernicus de Gestion des Urgences (Copernicus EMS) fournit aux acteurs impliqués des informations géospatiales précises et des cartes basées sur l’imagerie sattelite :

Et moins de 15 jours après, c’est l’IGN France qui vient compléter ces données grâce au survol d’un avion pour obtenir des images à plus haute résolution des dégâts dans les vallées de la Tinée et de la Roya :

 

Ces outils sont déployés pour la première fois en appui d’une catastrophe climatique sur notre département. Ils sont un véritable atout dans la gestion crise mais aussi en post-crise dans l’analyse des risques et la prévention.

 

 

4 – Synthèse :

Les conséquences et les intensités de ces orages, sont de mémoire d’homme, complètement inédites sur le département.

Toutefois à proximité de notre département, ces cumuls sont déjà répertoriés et connus pour être à l’origine de catastrophes majeures ces 10 dernières années. Les intensités et la durée mesurées sont assez similaires à :

  • La catastrophe de Draguignan du 15 juin 2010 qui avait fait 23 morts et 2 disparues.

 

 

 

  • La catastrophe des Cinque Terre chez nos voisins Italien en octobre 2011 qui présentent aussi le même profil pluviométrique :

 

 

Ces intensités étant considérées plus comme Cévennol que Alpines. Il devient inquiétant de les voir se multiplier au fil des années.

Rien que sur notre département, ces 5 dernières, nous avons été frappés à 6 reprises par des phénomènes climatiques remarquables ayant engendrés des arrêtés de catastrophe naturelle :

Et 2 de ces épisodes sont tout de même qualifiées d’extrêmes :

 

 

En conséquence, la gestion de crise sur notre département s’en est grandement améliorée avec l’activation systématique et bien rodée d’un Centre Opérationnel Départemental et des PC Crises au niveau communal. Mais ils ne peuvent qu’en limiter le bilan humain.

Il n’y aura qu’une forte volonté d’imposer les bases d’une politique pérenne de lutte et de prévention contre les inondations qui pourra réellement limiter l’ampleur des dégâts.

Les mémoires collectives n’ont pas toujours retenu que ces vallées peuvent subir des inondations de grande ampleur avec des lits majeurs parfois sous-estimés. Pensant plus facilement que ce risque ce cantonne aux zones littorales sur-urbanisées.

Le dernier épisode de référence dans ces vallées date du 13 septembre 1993. Il présentait des intensités 3 fois moindres :

 

 

Côté archives, il faut remonter à 1926 pour trouver une trace d’un événement météorologique très catastrophique même si la cinétique de l’épisode diffère grandement. Nous sommes là dans le cadre d’un automne particulièrement pluvieux avec des épisodes à répétitions et des facteurs aggravants comme la rupture d’un barrage naturel.

Toutefois l’étendue du lit majeur de la Vésubie présente des dimensions moins étendues avec un engravement moins marqué. Mais nos ainés ont aussi été très marqués par cet événement :

 

 

Quel doit être l’avenir des habitations situées en zone rouge sur un PPRi ? Dernière interrogation, peut on passer d’une zone rouge au danger maximal à une zone dite « blanche sans danger » avec aucune transition ? De nombreux enseignements seront une nouvelle fois tirés de cette catastrophe mais le retour à la normale s’annonce très long notamment dans la haute Roya.

55 communes sur les Alpes-Maritimes ont bénéficié d’un arrêté de catastrophe naturelle dans un délai record :

 

Un préfet délégué aux sinistrés et à la reconstruction a été nommé suite à la visite présidentielle :

 

Toute l’équipe se joint aux sinistrés et transmet ses sincères condoléances aux familles et proches des disparus.

Il est important pour les habitants des vallées de ne pas perdre espoir sur leur devenir. Les travaux sont titanesques et votre patience sera mise à rude épreuve mais les stigmates finiront par être gommés au fil des années. Toutefois, l’élan de solidarité dont vous avez fait preuve entre-vous sera à jamais présent dans vos mémoires.

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